Résumé
Dans le cadre de mon congé scientifique, une étape préalable a été réalisée à l’Université Transilvania de Brașov, en Roumanie. Située dans une région au fort passé industriel, l’université incarne un modèle hybride combinant les approches de l’université classique, de l’école polytechnique et de la haute école spécialisée. Elle compte 18 facultés dont 9 techniques, et accueille environ 21’000 étudiantes et étudiants. En ingénierie, la structure des études repose sur un bachelor de 4 ans (240 ECTS), avec un accès direct au master (120 ECTS). Fait notable, les programmes de master, notamment en cybersécurité, sont ouverts à des personnes issues de formations variées, y compris en droit ou économie, parfois avec un bachelor de 180 ECTS. Cette flexibilité illustre la volonté d’ouverture et d’adaptation de l’université.
L’intégration avec le tissu économique est impressionnante : les infrastructures sont en grande partie sponsorisées par l’industrie, et les liens concrets se traduisent par des stages, des projets collaboratifs et l’implication dans des programmes européens. Le master en cybersécurité attire chaque année un nombre élevé de candidates et candidats, et repose sur une pédagogie appliquée (laboratoires virtualisés, séminaires Google.org, hackathons). Les enseignantes et enseignants sont évalués à la fois sur la recherche et la qualité perçue de leur enseignement, avec des récompenses salariales à la clé. 60 % des diplômé·es trouvent un emploi après le bachelor, tandis que le master est conçu pour être suivi en parallèle d’une activité professionnelle. Cette expérience à Brașov vient enrichir la réflexion menée pendant le congé scientifique sur les évolutions de la formation en ingénierie en Europe, en particulier en matière de professionnalisation, de flexibilité et de partenariat avec les milieux socio-économiques.
Contexte de l’université
L’histoire de l’Université Transilvania de Brașov[1] (UNITBV) illustre l’évolution progressive d’un établissement ancré dans les besoins économiques et éducatifs de son territoire. Dès 1948, un Institut de foresterie est fondé, reflétant l’importance historique de l’économie forestière dans la région. Il est suivi en 1949 par la création d’un Institut de mécanique, annonçant une diversification industrielle. En 1956, ces deux institutions fusionnent pour donner naissance à l’Institut polytechnique de Brașov, articulant formation technique et développement économique. Cette base technique est complétée en 1960 par l’établissement d’un Institut pédagogique (mathématiques, sciences, biologie, puis musique), traduisant une volonté d’élargissement disciplinaire et de formation des enseignants. C’est de la fusion de ces deux structures qu’émerge en 1971 l’Université de Brașov, qui deviendra officiellement l’Université Transilvania de Brașov en 1991.
Elle accueille plus de 21’000 étudiantes et étudiants répartis dans 18 facultés, couvrant un large éventail de disciplines allant des sciences de l’ingénieur à la médecine, en passant par les sciences sociales, les lettres, les arts et les sciences exactes. Cette diversité disciplinaire confère à l’institution un caractère véritablement interdisciplinaire[2].
L’université s’illustre par son fort ancrage régional et son engagement dans le développement économique, notamment par l’adaptation constante de son offre de formation aux besoins du marché du travail. Elle propose des programmes de bachelor, de master et de doctorat, dont plusieurs sont enseignés en anglais, allemand ou français. UNITBV développe également des programmes en lien direct avec les entreprises, notamment dans les domaines de l’ingénierie mécanique, de l’informatique, des technologies industrielles et de la cybersécurité. Ce positionnement s’accompagne d’une politique ambitieuse de modernisation de l’infrastructure, d’internationalisation et de développement durable du campus.
La recherche y est fortement encouragée, avec plus de 900 publications indexées dans des bases internationales en 2024 et un important institut de recherche interdisciplinaire regroupant 30 centres spécialisés. UNITBV se classe au 5ème rang national dans le classement des universités roumaines. Par ailleurs, l’université joue un rôle actif dans le réseau UNITA, dans lequel elle coordonne ou participe à plusieurs projets européens, en particulier dans les domaines du patrimoine, de l’énergie verte, de la transition numérique et des sociétés inclusives.
Enfin, UNITBV se distingue par ses actions en faveur des étudiantes et des étudiants : politique de bourses, soutien aux mobilités internationales, accompagnement à la réussite et liens étroits avec les entreprises. L’insertion professionnelle des diplômé·es est une priorité affirmée, à travers des dispositifs tels que les projets appliqués, les hackathons, les stages et les collaborations académie-industrie. Grâce à ces efforts, UNITBV renforce son attractivité tant au niveau national qu’international, tout en restant fidèle à sa mission de formation, de recherche et de service à la société.
Entretiens
Entretien avec le Prof. Titus Bălan et le Prof. Vlad Popescu
La rencontre avec le Prof. Titus Bălan, doyen de la faculté regroupant les domaines de l’informatique, de l’électronique, de la mécanique et de la télécommunication, s’est déroulée au sein du bâtiment principal de l’Université Transilvania de Braşov. En poste depuis une année, le doyen supervise une faculté structurée en trois départements : ‘Electronics and Computers’, ‘Automation and Information Technology’ et ‘Electrical Engineering and Applied Physics’. La faculté compte 1’800 étudiantes et étudiants, encadrés par environ 60 membres du corps enseignant.
L’entretien a permis de mieux comprendre l’organisation des formations d’ingénierie. Le bachelor en ingénierie, historiquement d’une durée de 5 ans, a récemment été réduit à 4 ans, totalisant 240 ECTS. Ce changement vise à s’aligner sur les standards européens et à favoriser l’employabilité. En effet, de nombreuses personnes diplômées intègrent directement le marché du travail après le bachelor, notamment dans les secteurs de l’automobile, de l’électronique et des technologies de l’information. Néanmoins, environ 40 % poursuivent vers un master, qui représente 120 ECTS.
Une particularité soulevée durant la discussion concerne l’accès élargi au master en cybersécurité. Celui-ci est ouvert non seulement aux profils d’ingénierie, mais également à des diplômé·es en droit ou en économie, titulaires d’un bachelor de 180 ECTS. Cette situation peut questionner la cohérence des parcours et l’alignement des compétences initiales pour des études aussi spécialisées.
Le master en cybersécurité, lancé en 2018, connaît un vif succès avec trois candidatures pour chaque place disponible. Le cursus, réparti sur quatre semestres, propose à la fois une orientation appliquée (avec un stage de 6 ECTS en entreprise) et une orientation recherche (incluant conférences et publications). Plusieurs cours sont dispensés en lien direct avec l’industrie et intègrent des certifications comme le CISCO au semestre 2.
L’entretien a aussi abordé les mécanismes d’incitation à l’enseignement et à la recherche. La qualité de l’enseignement est valorisée par un vote étudiant annuel désignant les meilleurs enseignants, lesquels reçoivent une bonification salariale de 10 à 15 % l’année suivante. Les publications, notamment dans des conférences indexées (ex. Web of Science), influencent également la progression professionnelle.
La faculté bénéficie d’un lien ancien avec l’industrie régionale, notamment depuis 2018 et d’une collaboration active avec l’étranger, y compris l’Université de Calgary pour les aspects juridiques liés à la cybersécurité. Elle participe également à des initiatives européennes, telles que le réseau UNITA et le centre de compétences européen en cybersécurité basé à Bucarest (ECCC).
Enfin, le processus d’accréditation, renouvelé tous les cinq ans, prévoit une évaluation complète des formations, avec la possibilité d’ajuster le nombre de places selon la demande et la pertinence académique.
Visite des laboratoires
La visite des laboratoires d’ingénierie à l’Université Transilvania de Brașov a permis de constater un haut niveau d’équipement technique, en particulier dans le nouveau bâtiment dédié aux filières techniques. Ce dernier, récemment construit, offre des espaces modernes bien dimensionnés, bien que le nombre d’étudiantes et d’étudiants observés sur place fût relativement limité. L’investissement universitaire dans les infrastructures semble majoritairement soutenu par des financements externes, en particulier via des partenariats industriels. Cela reflète un lien fort entre l’université et le tissu économique local, dans la continuité de l’histoire industrielle de la région.
Une attention particulière a été portée aux dispositifs liés à la cybersécurité. L’université a développé une plateforme virtuelle d’apprentissage et de simulation, intégrant notamment un laboratoire en ligne, soutenu par le projet Google Cybersecurity Clinics. À travers ce programme, les étudiantes et étudiants en bachelor et master peuvent participer à des séminaires spécialisés, incluant des hackathons rémunérés (400 dollars par groupe), généralement organisés en dehors des heures de cours. Les exercices proposés incluent notamment des simulations d’attaques internes ou externes, avec une gestion des accès par token. Le projet bénéficie d’un financement annuel de 1 million de dollars de Google.org et les infrastructures numériques permettent également des parcours virtuels à distance.
Plusieurs projets européens soutiennent également le développement des compétences en cybersécurité, tels que le programme Erasmus KA220-HED ‘Cyberattacks and Cyberdefenses’ (SDPICaDDoS), coordonné par Bucarest, ou encore les projets SPIRIT (Horizon Europe) et Good Brother (Cost Action). L’université participe aussi à la Cyber Skills Academy européenne, qui vise à permettre la reconversion professionnelle depuis l’industrie vers les métiers de la cybersécurité.
Les programmes sont organisés de manière à permettre une flexibilité pour les personnes en emploi : les cours de master ont généralement lieu entre 16h et 20h, voire 21h. Chaque année, environ 600 étudiantes et étudiants réalisent un stage de trois semaines, en général durant l’été. Cette proximité avec le monde professionnel se reflète également dans le financement direct d’une partie des laboratoires par les entreprises partenaires. En revanche, les initiatives de type spin-off semblent rencontrer moins de succès.
Entretien avec les vice-rectrices Simona Lache et Mihaela Gheorghe
La rencontre avec la vice-rectrice à l’éducation, le vice-recteur aux affaires internationales et la secrétaire générale de l’Université Transilvania de Braşov s’est déroulée dans un climat constructif et favorable à la mise en place du double diplôme entre la HES-SO et l’établissement roumain. Le projet a été accueilli positivement, bien qu’il ait été précisé qu’il s’agirait d’un double diplôme et non d’un diplôme conjoint.
Les exigences liées à l’accréditation ont été abordées, notamment l’obligation que le 4ème semestre soit réalisé dans l’établissement partenaire. Le master concerné est déjà accrédité au niveau national, mais l’introduction d’un double diplôme implique une extension du champ d’accréditation, ce qui permettrait également de limiter le nombre d’étudiantes et d’étudiants par domaine, un point important dans le cadre de la stratégie d’équilibre de l’offre.
Le calendrier envisagé prévoit un lancement administratif du programme en 2025, avec une première mobilité d’étudiantes et d’étudiants en 2026. Il a été souligné la nécessité de finaliser et signer l’accord de collaboration institutionnel dans les meilleurs délais. La documentation liée à l’accréditation doit être déposée d’ici juillet. Une prolongation du délai a été demandée, avec une soumission désormais prévue en octobre 2025.
Plusieurs éléments ont été discutés en lien avec le soutien aux étudiantes et aux étudiants, notamment l’anticipation nécessaire de six mois avant l’admission pour garantir un bon accompagnement. Des modalités d’admission communes devront être définies, en tenant compte du processus en vigueur pour les formations à double diplôme.
Enfin, il a été confirmé que les candidates et candidats admissibles devront provenir de bachelors en informatique ou en électronique. Une déclaration externe d’accréditation de la part de la HES‑SO sera requise, accompagnée d’une documentation démontrant l’alignement avec les exigences de la procédure roumaine.
Analyse
Objectif | Observations |
1. Développement des programmes en collaboration avec les milieux professionnels | |
1.1 Analyser les stratégies adoptées pour intégrer des partenariats avec les entreprises | De nombreux cours sont dispensés avec des partenaires industriels. Les stages, les certifications (ex. CISCO) et les projets en cybersécurité sont réalisés en lien étroit avec les entreprises. Les laboratoires sont souvent sponsorisés par le secteur privé et les cursus sont conçus pour répondre aux besoins du tissu économique local. |
1.2 Identifier les pratiques innovantes de co-construction répondant aux besoins du marché | Le laboratoire virtuel en cybersécurité (soutenu par Google.org et des projets européens) offre un environnement innovant. Les hackathons et projets pratiques organisés avec des entreprises en sont un exemple fort. |
2. Attractivité des formations en ingénierie | |
2.1 Étudier les initiatives visant à renforcer l’attractivité des filières, notamment en lien avec l’employabilité | L’université valorise les enseignements à finalité professionnelle, avec des stages obligatoires, des cours dispensés en soirée pour les personnes en emploi et une politique d’incitation des enseignantes et enseignants à la qualité de l’enseignement. L’attractivité du master cybersécurité est particulièrement forte (3 candidatures pour une place). |
2.2 Analyser les dispositifs mis en place pour attirer davantage d’étudiantes et d’étudiants | Plus de candidates et de candidats en ingénierie que de place. |
3. Formation courte versus cycles longs | |
3.1 Comparer les programmes professionnalisants courts avec les filières classiques (5 ans) | L’ingénierie est passée d’un programme de 5 ans à un bachelor de 4 ans (240 ECTS), suivi d’un master de 2 ans. Cette réforme vise une meilleure insertion professionnelle après le bachelor. 60 % s’arrêtent et trouvent un travail. |
3.2 Identifier les forces et limites des deux systèmes (flexibilité, employabilité, transfert de compétences) | Le bachelor permet une insertion rapide dans l’industrie. Le master est plus spécialisé. |
4. Flexibilité des formations | |
4.1 Explorer les dispositifs favorisant la modularité : VAE, micro-certifications, parcours hybrides | – |
4.2 Étudier l’effet de ces dispositifs sur la réussite académique et les parcours individualisés | – |
5. Articulation entre enseignement et recherche | |
5.1 Analyser des exemples de collaboration réussie entre enseignement et recherche | – |
5.2 Identifier les pratiques favorisant la participation des étudiantes et des étudiants à la recherche dès le bachelor | – |
Conclusion
L’Université Transilvania de Braşov incarne un modèle d’intégration institutionnelle, qui, par rapport à la Suisse, se situe à la croisée des chemins entre les universités classiques, les écoles polytechniques et les hautes écoles spécialisées. Ce positionnement hybride lui permet de proposer une large gamme de formations, allant de programmes académiques classiques à des cursus professionnalisants directement articulés aux besoins de l’industrie. L’exemple des bachelors en ingénierie, conçus pour une insertion professionnelle rapide dès la fin du cycle de quatre ans, en est une illustration parlante. Dans ce domaine, 60 % des diplômé·es trouvent un emploi immédiatement après l’obtention de leur diplôme.
Les masters en ingénierie (exemple du projet Cybersecurity), quant à lui, offre une flexibilité adaptée aux personnes déjà en emploi, avec des cours organisés en fin d’après-midi et en soirée. Cette organisation témoigne d’une réelle volonté de répondre aux contraintes des professionnels en activité et de favoriser la formation continue. L’articulation avec le tissu économique local est particulièrement forte : les entreprises soutiennent les infrastructures de formation (y compris les laboratoires), participent à la définition des programmes, accueillent les étudiantes et étudiants en stage et coconstruisent certains projets pédagogiques.
Un autre élément marquant est la valorisation de l’enseignement : en plus des exigences classiques liées à la recherche, l’université a mis en place des incitations concrètes pour récompenser la qualité pédagogique, à travers des distinctions décernées par les étudiantes et étudiants. Ces distinctions sont accompagnées d’une reconnaissance financière, ce qui souligne une culture d’équilibre entre excellence scientifique et engagement pédagogique.
Ainsi, cette étape préalable de mon congé scientifique a permis de découvrir une institution fortement ancrée dans son territoire, agile dans son rapport aux évolutions sociétales et technologiques et résolument tournée vers l’innovation pédagogique. Le modèle de l’Université Transilvania de Braşov constitue une source précieuse d’inspiration pour nourrir les réflexions en cours à la HES-SO sur les évolutions possibles de la formation en ingénierie.
Remerciements
Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à l’ensemble des personnes qui ont contribué à l’organisation et au bon déroulement de cette visite à l’Université Transilvania de Brașov.
À l’Université Transilvania, je remercie tout particulièrement :
- Prof. Simona Lache, Vice-rectrice aux affaires internationales
- Prof. Mihaela Gheorghe, Vice-rectrice à l’enseignement
- Prof. Titus Bălan, professeur associé au Département d’électronique et d’informatique
- Prof. Vlad Popescu, professeur associé au Département d’électronique et d’informatique
J’ai apprécié tant les moments formels qu’informels ainsi que leur accueil chaleureux, la qualité des échanges et la disponibilité qu’ils ont accordée à mes nombreuses questions. Leur engagement pour le développement de la formation en ingénierie et pour les collaborations internationales a fortement enrichi cette étape préalable en amont de mon congé scientifique. Je remercie également Bernard Masserey, responsable de la filière Master of Science HES-SO in Engineering, pour son rôle clé dans la mise en relation et l’organisation de cette visite, qui s’inscrivait également dans la perspective d’un développement de double diplôme dans le domaine de la cybersécurité.
[1] https://www.unitbv.ro/despre-unitbv.html, consulté le 09.05.25.
[2] https://www.unitbv.ro/documente/despre-unitbv/Raport_anual_2024.pdf, consulté le 09.05.25.